Belles Histoires #3 DAUMET

Entretien avec Cyrile Deranlot, Président de DAUMET

Ingénieur de Recherche CNRS, vous avez monté l’entreprise DAUMET qui propose aux créateurs du luxe une alliance de matières et d’or innovants. Votre produit, le premier or blanc brillant au monde est le résultat d’un alliage entre l’or (Au) et le tungstène (W), baptisé SpinD Gold. Il présente d’autres atouts majeurs : non allergène, un coût compétitif et une empreinte carbone faible.

Aujourd’hui, DAUMET partage avec nous son parcours et le process entrepreneurial qui s’est effectué du laboratoire au marché de la joaillerie.

 

A la suite de la découverte de ce nouvel alliage avec Albert Fert (prix Nobel de physique 2007), comment vous est venu l’idée de valoriser cette technologie ?

Une fois inventé, j’ai étudié les propriétés physico-chimiques de ce matériau pour en comprendre les fonctionnalités potentielles. En parallèle, j’ai réalisé une bibliographie très exhaustive des travaux déjà menés autour de ces deux éléments. Après ce travail, l’idée de valoriser m’est apparue très rapidement car il y avait une multitude d’applications industrielles potentielles. Par contre, à ce moment-là, je n’avaisi pas encore idée des différentes voies de valorisation possibles.

 

Quelles ont été vos grandes étapes de valorisation ?

1. Protection de la technologie par dépôt de brevet

2. Formation à l’entrepreneuriat innovant : HEC Challenge+

3. Rencontre/discussion avec de très nombreux acteurs du secteur de

l’horlogerie/bijouterie/joaillerie afin de comprendre leurs problèmes, besoins, vocabulaire…

4. Définition d’un chemin de valorisation passant par la création d’une start-up

5. Soumission de cette stratégie à ma hiérarchie au CNRS

6. Procédure administrative pour mise à disposition 25-1

7. Création de DAUMET

De 1. à 7., il s’est écoulé un peu plus de deux ans.

 

Vous avez été mis à disposition 25-1 par le CNRS, c’est-à-dire que vous avez gardé votre poste de fonctionnaire mais en étant à temps plein sur votre projet ; avez-vous bénéficié d’un autre accompagnement de la part des structures scientifiques ?

Dans la phase de prématuration donc avant la mise à disposition en 25-1, j’ai obtenu le soutien de la Fondation de Coopération Scientifique Paris-Saclay ainsi que des labex PALM et NanoSaclay. Deux subventions m’ont permis d’affiner nos connaissances sur le matériau et donc sur son adéquation avec une problématique marché. L’Institut de Physique du CNRS m’a également soutenu au travers de son programme d’incitation à l’innovation qui a ensuite été généralisé à l’ensemble du CNRS sous le nom de programme de prématuration. Mon laboratoire d’origine, l’Unité Mixte de Physique CNRS/Thales à Palaiseau est depuis le début et encore aujourd’hui un soutien majeur à ce projet.

 

Vous avez rencontré un univers totalement aux antipodes de votre milieu de travail, comment avez-vous appréhendé, approché les investisseurs ainsi que votre cible potentielle ?

En amont de la création de DAUMET, j’ai approché les acteurs de ce marché avec humilité et souci d’apprendre. J’ai poussé les portes en me présentant toujours ainsi : « Bonjour, je travaille au CNRS, je ne connais rien à votre métier mais je travaille avec le même matériau que vous (l’or) et j’aimerais donc comprendre vos problèmes et vos besoins pour voir si je pourrais vous aider à y répondre. » De cette façon, j’ai vécu des moments exceptionnels avec des personnes détenant des savoir-faire prodigieux. J’ai énormément appris sur l’univers du luxe, sur le travail de l’or, sur les impératifs marché. J’ai découvert plus en détail comment s’articule les groupes/Maisons de luxe avec leurs différents fournisseurs. Depuis la création de l’entreprise, mon approche est désormais plus business puisque le but est de convaincre les Maisons de travailler avec DAUMET. Concernant les investisseurs, je ne les ai pas encore approchés car je n’ai pas encore levé de fonds.

 

La R&D reste au cœur de votre activité. Rachid Boujamaa, responsable technique chez DaumetDAUMET vous a remplacé dans le laboratoire, revenez-vous de temps à temps à votre première passion qu’est la métallurgie ? Ou il est inenvisageable pour vous de retourner dans la recherche ?

Je travaille de concert avec Rachid Boujamaa quotidiennement mais pas toujoursmoins en mettant la main à la pâte. Mon travail effectif en recherche est toutefois toujours bien présent. La métallurgie continue de me passionner et j’ai de nombreuses idées de travaux à mener autour de ces alliages or-tungstène. Aujourd’hui, je suis dirigeant d’entreprise donc ma préoccupation majeure est le développement de DAUMET. La recherche en est un outil mais pas une finalité comme dans mon ancien emploi.

 

Quel serait votre conseil, pour des doctorants ou jeunes chercheurs qui hésitent à créer leur entreprise ?

Votre question posée ainsi, je leur dirais de ne pas hésiter : « Ne créez pas d’entreprise ! » Un doctorant doit tenir son objectif : finir sa thèse. Il n’est pas envisageable de mener deux projets de cette envergure de façon efficace en parallèle. Un jeune chercheur a travaillé très dur pour réussir à avoir un poste pour lequel la sélection est sévère. La recherche est un métier créatif pour lequel la période 30-40 ans est déterminante pour la suite de la carrière. Il faut se consacrer à ce pour quoi on excelle. Après, il sera possible de voir d’autres univers. Il ne faut pas vouloir mettre de l’entrepreneuriat partout. Si dans votre question vous dîtes "jeune docteur" ou "chercheur confirmé" alors je dirais: « si tu penses avoir un intérêt potentiel sur un marché, va discuter avec les acteurs de ce marché au même titre que tu ferais de la biblio avant de te lancer sur un sujet. Va comprendre leur vocabulaire, leurs problèmes et leurs besoins pour voir si tu peux y répondre. Si tu crois qu’il y a une voie possible, discute avec des entrepreneurs plus capés pour avoir leur retour et lance-toi. Une devise que j’ai entendue pendant mon parcours et qui continue de me guider : « c’est en montant sur un vélo qu’on apprend à faire du vélo!vélo ! » Par contre, attends-toi à vivre un engagement professionnel sans commune mesure avec celui d’un chercheur…dans les bons et les mauvais côtés. Et n’oublie pas que quelle que soit ta finalité personnelle, quasiment toutes tes décisions seront guidées par l’argent. Il faut en être conscient avant de démarrer car ce n’est pas du tout le cas dans le métier de chercheur.»

 

Quelles ont été vos obstacles et vos forces dans cette aventure entrepreneuriale ?

Les obstacles ont été nombreux dans la transition ingénieur de recherche CNRS/entrepreneur. Pour résumer, je dirais que la temporalité de la décision dans l’administration est très éloignée de celle dans le monde de l’entreprise. Cette dernière en pâtit généralement énormément sans que l’administration en tire un bénéfice. Un autre obstacle est ma capacité moins grande à communiquer sur le papier qu’à l’oral. C’est un écueil pour avancer dans les divers concours de start-up. Concernant mes forces, je pense que la pugnacité et la capacité à apprendre rapidement sont mes deux moteurs les plus importants.

 

Un mot sur votre actualité

DAUMET a désormais plusieurs clients dans le secteur de l’horlogerie/bijouterie et s’apprête à diversifier son offre vers d’autres secteurs comme la maroquinerie ou les accessoires de luxe.


Site de l'entreprise : www.daumet.com